Le Tube "Hypnose et TV"

Le documentaire « Le tube » expose des résultats : en 1960 Thomas Mulholland, à l’aide d’un électroencéphalogramme prouve que le cerveau, lorsqu’il regarde la TV, émet des ondes alpha (qui sont caractéristiques d’un état inactif et léthargique) au lieu d’émettre des ondes Beta (qu’un simple mouvement des yeux déclenche, normalement).


"Le Tube" - INFLUENCE ECRAN SUR LE CERVEAU - 1:21:22 -

Le sociologue Marshall Mc Luhan fait une expérience où les sujets regardent un film, de part et d’autre de l’écran de cinéma : les uns en lumière directe (comme pour la TV), les autres en lumière réfléchie (comme au cinéma) ; les conséquences de ces 2 visions sont différentes : les sujets en lumière directe auront tendance à intérioriser les images, qui deviennent consubstancielles à leur inconscient. Mc Mulhan explique que se développe alors une « culture de groupe » ; ce qui fait de la télévision un instrument du totalitarisme. A la même époque Herbert Krugman, chercheur qui a travaillé pour le gouvernement US sur le lavage de cerveaux, collabore avec la Général Electric puis avec des publicitaires. Il montre que la TV endort l’esprit et favorise sa manipulation.



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LA TELEVISION



Pouvoir de la télévision
  • Fascination de l’écran : perception, conscience, et effets
  • Conséquences psycho-sociales : technochamanisme, discours invisible et individu



  • « Herméneutique mediologique »


"La télévision (...) fait courir un danger très grand aux différentes sphères de la production culturelle, à la vie politique et à la démocratie. "
Pierre Bourdieu, sociologue
« Au cours delà 2eme moitié du XX eme siècle, la TV est devenue le processus d’individuation psychique et collective de référence, et c’est ainsi que s’est installée la télécratie »
Bernard Stiegler, philosophe


La télévision est la principale « activité » humaine après le travail et le sommeil, regardée en moyenne 3h44/ jour en 2006, contre environ 3H20 en l’an 2000 ; sa consommation est en constante augmentation, avec l’arrivée de technologies numériques (TNT...) et malgré l’apparition d’autres media comme le net. Les études montrent qu’à 75 ans l’homme aura dépensé 7 à 9 ans de sa vie devant l’écran. Chacun a pu expérimenter la difficulté qu’il y a à rompre avec l’écran : pourquoi cette addiction à la télévision ? Quelles en sont les conséquences, et sont-elles mesurables ?





  • L’IMAGE LUMINO-MOUVEMENT

L’œil perçoit immédiatement 2 choses : la lumière et le mouvement. Le mouvement n’est d’ailleurs rien d’autre que distorsion de lumière, par masquage du fond lumineux. Notre désir de lumière est un besoin physiologique (preuve par la luminothérapie qui soigne les dépressions). Le phénomène hypnotique évident de la TV relève de ces 2 stimuli.

Toutes les civilisations ont adoré le soleil. La lumière est un élément sacré qui a perduré au fil des âges, source de chaleur, qui permet la vision, éloigne les ténèbres ; la fascination pour la télévision relève donc symboliquement de cette fascination de la lumière comme elle jouerait de la crainte de l’obscurité. De même que l’image, par son caractère magique (imitation ou transcandance du réel, medium avec l’au-delà...) pousse à l’adoration (ex :l’icône) ; quoi de plus naturel que de sacraliser une icône luminescente ? La fascination pour un objet luminescent peut se rapporter à son caractère anthropologique universel.





  • VIOL DE LA PERCEPTION

Les chercheurs Kubey et Csikszentmihalyi, reprenant des théories de Pavlov, ont démontré que le cerveau ne peut s’empêcher d’être attiré par un mouvement, du fait de notre « réponse d’orientation » que nos ancêtres ont développé pour survivre en milieu hostile. L’image animée attire donc notre regard et provoque une réponse du corps (diminution du rythme cardiaque, afflux sanguin au cerveau etc...). La forme de narration audiovisuelle (changements de plans, montage alterné, zoom etc...) également, car elle est aussi fondée sur le mouvement (d’axe, de temps, de profondeurs...). D’autres études montrent d’ailleurs que c’est bien la FORME du contenu et non le contenu lui-même qui influe sur l’organisme .

Ces deux chercheurs montrent dans leur article « TV addiction is no more metaphore » que les critères de dépendance à une drogue peuvent s’appliquer à la TV ; au-delà de ça, la distraction (au sens pascalien, « se distraire de soi-même ») que provoque la télévision peut s’expliquer par le besoin de notre cerveau de fuir l’entropie et les « pensées négatives » qu’il génère lorsqu’il est inactif.



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VIOL DE LA CONSCIENCE


  • Hypnose

Max Lüscher, au début du XXème siècle a démontré le caractère hypnotique des couleurs (CF. article Pub), utilisé en publicité comme ailleurs (le rouge accélère le cœur, le bleu l’apaise : dans les hôpitaux par ex.). L’hypnose -phénomène naturel et ancestral utilisé dans maintes civilisations et qui fut à l’origine de la psychanalyse- est un état dans laquelle la conscience plonge naturellement chaque jour (voyage en train etc...). Les effets physiologiques de l’écran (voir +loin) et les effets formels (montage, zoom etc...) induisent un phénomène hypnotique. La capacité de la télévision à plonger le spectateur dans un état hypnagogique (qui précède le sommeil), la position du corps (détendue) facilite cette "transe hypnotique spontanée » . Le fait que la TV soit chez soi, c’est-à-dire psychanalytiquement ce qui représente le Moi, peut donc permettre de dire que la TV est alors d’ors et déjà dans l’inconscient du spectateur. A la différence d’un spectacle ritualisé dans un lieu extérieur.


  • Sideration

Si les effets physiologiques de l’appareil TV captent la perception, son contenu à également un effet sur le psychisme. En cinéma on dit que le réalisateur fait 50% du travail, et que le spectateur fait le reste : remontage inconscient, recomposition de l’univers composite, hors champ etc... Le langage de la télévision lui, s’est élaboré pour capter un maximum l’attention. Par ex. le gros plan (simplification de la forme : émotion décuplée), les couleurs (Tv + « flashy » que cinéma), la brillance de l’image vidéo, le rythme, le fond sonore... Preuve en est la célèbre déclaration du PDG de TF1, P. Le lay, qui à propos du téléspectateur dit « vendre du temps de cerveau disponible » aux annonceurs, et le site de TF1 Publicité qui vente « la qualité d’attention » de son spectateur.

Ces procédés renforcent le processus psychologique de sidération. La sidération est une réponse psychique à une agression : la conscience se « détache » un moment de la réalité pour ne pas avoir à la subir : l’agression ici est donc ce viol de l’attention.


Ce qui rend impossible toute distance critique immédiate. 




EFFETS PHYSIOLOGIQUES
  • L’ecran

En 1997 au Japon, environ 700 enfants ont déclenché une crise d’épilepsie après avoir visionné un épisode du manga Pokemon. Ceci du au clignotement rapide des couleurs, mais également au fait que la lumière de l’écran TV est directement injectée dans l’œil. De nombreuses études ont été menées à la naissance de la TV pour démontrer la dangerosité du tube cathodique, émettant un rayonnement d’électrons et un champ electromagnétique. Si les résultats sont durs à prouver, on a pu montrer que la TV provoque des troubles de l’attention et de l’anxiété, notamment chez les enfants.

Le documentaire « Le tube » expose des résultats : en 1960 Thomas Mulholland, à l’aide d’un électroencéphalogramme prouve que le cerveau, lorsqu’il regarde la TV, émet des ondes alpha (qui sont caractéristiques d’un état inactif et léthargique) au lieu d’émettre des ondes Beta (qu’un simple mouvement des yeux déclenche, normalement). Le sociologue Marshall Mc Luhan fait une expérience où les sujets regardent un film, de part et d’autre de l’écran de cinéma : les uns en lumière directe (comme pour la TV), les autres en lumière réfléchie (comme au cinéma) ; les conséquences de ces 2 visions sont différentes : les sujets en lumière directe auront tendance à intérioriser les images, qui deviennent consubstancielles à leur inconscient. Mc Mulhan explique que se développe alors une « culture de groupe » ; ce qui fait de la télévision un instrument du totalitarisme. A la même époque Herbert Krugman, chercheur qui a travaillé pour le gouvernement US sur le lavage de cerveaux, collabore avec la Général Electric puis avec des publicitaires. Il montre que la TV endort l’esprit et favorise sa manipulation.


Catalyseur d’émotions

Notre corps a besoin d’émotions, pas simplement par simple plaisir mais pour fonctionner. Or la possibilité dans nos sociétés de susciter ces émotions est très faible : le recours à la télévision est donc un générateur et catalyseur d’émotions. La psychanalyse a prouvé de manière formelle que les émotions sont la base du développement psychique ; autrement dit, sans émotion, on devient débile. Mais trop d’émotions ? La TV permet de passer par un large panel d’émotions en très peu de temps : rire, larmes, excitation, détente avec des conséquences visibles (accélération du rythme cardiaque etc...). Mc Luhan soutient que toute technologie modifie notre biologique ; ainsi par ex. l’imprimerie a développé le sens de la vision au détriment de l’ouïe. Dans Vidéodrome, D.Cronenberg défend la même hypothèse : notre cerveau évoluera « dans l’arène de la TV ».


Donc :
- le medium téléviseur (l’écran) crée des effets psycho/physiologiques
- la forme structurelle provoque effets physiologiques et sensations
- le contenu procure des émotions

Ces 3 éléments, à l’intérieur du même medium, en font un instrument d’une puissance formidable et inédite dans l’histoire de l’humanité.

CONSEQUENCES PSYCHO-SOCIALES
  • Fonction magique : Techno chamanisme

L’image, première écriture de l’humanité, a une fonction magique intrinsèque et ancestrale (cf.art.« La société de l’image »). La télévision reprend cette fonction en tant que productrice d’images, mais également en tant qu’objet comme meuble-totem, qui rassemble autour de lui la famille et les citoyens, dans une même pulsion grégaire que nous allons voir. Günter Anders fait remarquer que le meuble familiale, la table (qui rassemble) s’est peu à peu fait remplacé par la TV (qui décentre), « point de fuite commun ».

La télécommande, illusion de la maîtrise qui ne sert en fait qu’à exacerber la boulimie d’images, transforme la fonction haptique (toucher) en optique. Elle incarne également ce bâton magique tribal qui sélectionne plutôt qu’il ne « commande » les images, qui les renouvelle dans un vertige infini.

 

 

  • Récréatif ou éducatif

La TV est antinomique avec le concept d’éducation ; tout au plus peut on en attendre une initiation et même plutôt une sensibilisation. Il est impossible de prétendre apprendre par un flux d’images ininterrompu ; la mémoire ne peut se fixer, sans l’effort de concentration (capacité, on l’a vu, brisée par le processus formel et l’écran) ; la TV ne fournit que l’illusion de la connaissance par le voir. On pourra croire connaître tout de la civilisation égyptienne ; cette connaissance spontanée s’évanouit sitôt venu le programme suivant. De même que le discours publicitaire promet/promeut le plaisir immédiat par la satisfaction immédiate du désir, la télévision, en offrant la croyance dans le savoir immédiat, défait chez l’élève la capacité et la volonté à apprendre dans la lenteur ; confronté à la réalité de l’éducation, il ne saura s’y résoudre.

Mecanismes
  • La vidéosphère : Re-presenter, Restituer, ou simuler ?

La TV est l’instrument de la vidéosphère définie par Regis Debray, ère de la simulation, par exemple avec le direct qui simule une présence. Cette simulation sans cesse actualisée, rend toute pensée impossible, ne serait-ce que par le temps, rythmé à une vitesse imposée par l’urgence. Or selon Bourdieu le « déploiement de la pensée pensante est intrinsèquement lié au temps » ; P.Watkins, cinéaste, explique ce formatage de la pensée par deux procédés universels dans les mass media mondiaux : LA MONOFORME (la structure narrative uniformisée : montage alterné et rapide, effets sonores etc...) et l’HORLOGE UNIVERSELLE (standardisation de la durée calibrée des produits audiovisuels).

En plus de court-circuiter la pensée le langage médiatique la manipule, par ce que Philipe Breton appelle des « rails mentaux », vocabulaire passe partout qui écrase les nuances et dilue les concepts dans un fast food de pensée pré-machée. Bourdieu montre encore que le dispositif même des émissions fausse les discours (il suffit de mesurer le temps de réponse d’un intervenant), mais que pourtant la TV est devenue l’instance de légitimation.

  • « Le discours anonyme » : « pedagogie de la soumission »

(François Brune)

"De fil en aiguille, la TV qui prétend etre un instrument

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d’enregistrement devient instrument de création de réalité. (...) le monde social est décrit prescrit par la TV » P.Bourdieu

La télévision, comme l’ensemble des media et comme nous l’avons vu du discours publicitaire, est instance non plus représentative mais impérative, modèle / reflet à imiter plutôt qu’à regarder. Elle est une injonction de faire ET de penser en quatre temps : mirer/admirer/imiter/intégrer. Brune analyse ce concept de « reflet » comme « intimidation majoritaire » et sophisme du miroir : « voici ce que tu es ». Ce discours anonyme est impératif de bonheur, d’être de son époque, avec son temps, usant de la fatalité des évidences (« la logique de » et « le sophisme de l’inéluctable »).

Les media formatent le discours général sur l’ époque, imposent les débats, façonnent les attitudes de chacun, montrent ce qui doit être vu, rendant invisible le non-vu, pire, niant par là l’existance du non-vu... Ils exarcerbent les discours fédérateurs (être heureux ensemble, avoir peur ensemble...). Ils construisent donc l’individu en court circuitant le sujet . Sans que tout cela soit perceptible, car dilué (phénomène primordial de la dilution, qui permet toute dérive puisqu’elle est invisible), dans un vaste système de spectacle ; chacun reprend alors inconsciement à son compte les évidences du discours de la modernité.



  • Individu et télévision

C’est une évidence de constater que la télévision accapare le temps des individus ; c’est autant de temps volé à la créativité, à l’ auto-détermination, la construction personnelle et sociale. La télévision est une technologie qui accroît le besoin de grégaire en brisant paradoxalement le tissu social. Aristote décrivait la pulsion grégaire constituante de la Philia (le « lien social ») en tant que « manifestation de l’incomplétude de l’individu isolé » (cf. art. Publicité) ; on peut ajouter que le primitif, seul, était vulnérable et que la pulsion grégaire doit sans doute tenir de l’instinct de survie. C’est sur cette pulsion (avec la pulsion scopique du voir) que s’appuie la TV, mais en isolant les spectateurs ; il suffit d’errer dans un village après le dîner pour se rendre compte de la réalité du terrain ; les rues sont désertes. Les familles décentrées. Par le temps volé et l’exacerbation des pulsions qui dé-lient la libido, la Philia est impossible ; pourquoi rencontrer l’autre ? Je le vois/je le possède dans ma tévé.

Cette foule séparée, je l’appelle la foule technologique (cf. les communautés net).

Freud avait analysé les foules artificielles (dont l’identification est psychologique mais aussi psychosociale) : « identifications régressives, contagion mentale et perte de la volonté ». Mc Luhan soutenait que la télévision renforce la culture de groupe au détriment de l’individualité. Stiegler, en parlant de cette « Hypersynchronisation des consciences » prônée par TF1 et de l’ « organisations artificielles des masses » dit qu’ « il y a une antériorité du transindividuel par rapport à l’individuel », c’est-à-dire que nous nous constituons d’abord par les autres : la TV, en montrant une image de « l’autre », tend a nous constituer par et comme cette image.

Cela rappelle la notion d’Inconscient Collectif inventée par C.G. Jung : c’est un système de représentations symboliques communes (comme on l’observe dans des cultures éloignées et qui pourtant se ressemblent). La TV peint des « paysage ethnographique de nos cerveaux ». Cette vidéosphère (cf.art. « Société de l’image ») a des conséquences : le seul Vrai est le Visible, et tout ce qui n’est pas actuel ou ré-actualisé provoque l’amnésie.
La télévision ne fabrique donc pas une culture commune mais bien son contraire, un oubli individuel subordonné à une culture massifiée.



  • Memoire

La circulation des images mentales se fait par et dans les images objets : la profusion des images objets risque donc d’aboutir à un « aveuglement par les images » (Stiegler), et un remplacement des images mentales par les images objets. Preuve par le film de vacances : à force de visionnages, il finit par remplacer les vraies images mentales des vacances. La télévision oriente une vision commune, et tend à la substituer à la mémoire commune et individuelle.

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Comme la publicité liée actuellement intrinsèquement au fonctionnement mécanique, voire organique de la télévision, ce medium joue donc avec nos pulsions ; d’abord pulsion scopique à sa base, elle étend son champ d’exacerbation des pulsions (narcissique, grégaire etc...) et entraîne (ceux qui la font et ceux qui la regarde) une dé-sublimation, ou encore a-sublimation. La fascination par la lumière et le mouvement est décuplée par la fascination de voir l’autre, de se voir, d’entrevoir des fragments d’un réel recomposé donc imaginaire, et pourtant vécu comme instance de vérité, modèle à intégrer. Tout ceci renforcé par le langage audiovisuel qu’utilise la télévision, fabriqué pour capter l’attention et in fine la conscience.

Il n’y a pas de bon ou de mauvais usage de cet instrument ; ces conséquences sont universelles et intrinsèques à la mécanique de cette machine. Encore que l’on peut les accentuer par certaines utilisations et pratiques... La lecture critique de l’image est impossible en direct ; il faut pour lutter contre le flux, le constituer en stock. Ne plus regarder mais enregistrer : choisir ses programmes ; ne plus être dépendant des horaires, de l’ impératif d’être ici et maintenant ; pouvoir accélérer les images ou les freiner, revenir sur un plan, zapper les pubs, faire une pause. Et lorsqu’on a suffisamment de stock nul besoin d’allumer la tévé au hasard, on a toujours quelque chose à voir ; c’est le seul moyen de contrôle contre le pouvoir de la télévision.

Enfin , lorsque chaque citoyen aura son stock, il deviendra la télévision ; un vaste réseau de communication audiovisuelle ou chacun produira et fera circuler son stock, court-circuitant la domination des programmes imposés.

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